Cette privatisation a été marquée par deux principales innovations en ce qui concerne la basse tension, dont on va précisément s’intéresser dans le cadre de cette réflexion : la configuration de la clientèle et la nouvelle grille tarifaire.
1. L’évolution des grilles tarifaires au Cameroun
C’est à partir de 2003 (deux ans après la privatisation) que l’on a connu au Cameroun la première hausse des tarifs. La grille établie segmente les clients en fonction des usages : usages domestiques, usages professionnels et éclairage public.
Un consommateur appartient à la première catégorie lorsqu’il utilise l’électricité à des fins exclusivement domestiques (éclairage, électro-ménager, etc). Dans la seconde catégorie, il s’agit des consommateurs qui utilisent l’électricité exclusivement pour des activités commerciales, artisanales, et de services, toutes branches confondues (pharmacie, moulin à écraser, restaurant, débits de boissons,…), soit lorsque les activités ci-dessus sont couplées aux usages domestiques. L’éclairage public concerne exclusivement les communes, de 18h30 à 6h00 dans le cadre de l’éclairage des voies publiques.
Avant la privatisation, la structure des tarifs était complexe : 24 prix étaient appliqués en moyenne tension et basse tension, et ceux–ci dépendaient déjà des usages. Les prix de vente dans la catégorie basse tension étaient de 50FCFA pour une consommation inférieure ou égale à 90 kWh et 58,15FCFA au-delà des 90kWh. L’innovation apportée dans la tarification après la privatisation a été l’introduction de la saisonnalité : une saison sèche (1er janvier au 30 juin) et une saison humide (1er juillet au 31 décembre). Le prix du kWh varie donc désormais en fonction de ces saisons.
Pour les usages domestiques, la grille tarifaire est la suivante :
Pour le tarif social, les consommations sont exonérées de TVA et pour les autres, seuls les 110 premiers kWh sont exonérés de TVA.
Pour les usages professionnels, la grille tarifaire est la suivante :
Le tarif appliqué à ce segment se compose de deux termes : un terme fixe appelé prime fixe mensuelle et un terme proportionnel au niveau de consommation et de la durée d’utilisation de la puissance souscrite. Le terme fixe est de 2000FCFA, et le montant total de la prime fixe mensuelle à payer est proportionnel à la puissance souscrite lors de l’abonnement ; si celle-ci est de 2,2 kVA (kilo Volt Ampère), ce montant sera de 4400 FCFA (2000*2,2).
Pour l’éclairage public, les prix de vente de l’électricité aux communes sont de 40FCFA/kWh en saison humide et 46,5FCFA/kWh en saison sèche.
En 2007, une nouvelle grille tarifaire fût mise en place pour les abonnés basse tension, et est marquée par la suppression de la prime fixe et de la tarification par saisons. La principale information de cette nouvelle tarification est l’augmentation de la tranche sociale qui est passée de 50 kWh à 110 kWh.
Ce tableau montre que la suppression de la saison (saison sèche et saison humide) dans la tarification a conduit à un plafonnement des tarifs, qui se situe désormais à 85 FCFA/kWh pour les abonnés utilisant l’électricité à des fins domestiques, et à 92 FCFA/kWh, pour ceux utilisant l’électricité à des fins non domestiques (usage professionnel). Ce plafonnement est connu sous le nom de price-cap, qui a fait son apparition en Grande-Bretagne lors de la privatisation de certaines entreprises de services publics.
Depuis avril 2010, une nouvelle grille tarifaire a été mise en place par l’AES-SONEL, et se présente comme suit :
Cette grille indique à nouveau un plafonnement des tarifs d’électricité, se situant à 95 FCFA/kWh pour les abonnés domestiques et à 96 FCFA/kWh pour les abonnés professionnels.
L'analyse ainsi faite indique qu’en une décennie, l’on a assisté à trois augmentations des tarifs d’électricité. Cette dernière a ainsi marqué le point de discorde entre la tutelle (Ministère de l’Energie et de l’Eau-MINEE), l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL), et le concessionnaire du service public AES-SONEL. Toutefois, ces augmentations sont elles réellement justifiées ?
2. La hausse des tarifs de l’électricité est–elle réellement justifiée ?
- De veiller aux intérêts des consommateurs et assurer la protection de leurs droits pour ce qui est du prix, de la fourniture et de la qualité de l’énergie électrique;
- De mettre en œuvre, suivre et contrôler le système tarifaire établi, dans le respect des méthodes et procédures fixés par l’Administration chargée de l’électricité (…).
La création de l’Agence de Régulation avait donc pour but de contrôler le repreneur quant aux abus dont les consommateurs pouvaient être victimes, étant donné que la privatisation devait automatiquement s’accompagner d’une augmentation des tarifs de l’électricité.
En parcourant le contrat cadre de concession et de licence en son article 5 (tarifs de vente au détail exclusive), l’on s’aperçoit effectivement que des augmentations sont prévues durant les deux premiers quinquennaux suivant la privatisation, ainsi que les formules de contrôle des tarifs de l’électricité. Ces augmentations sont de l’ordre de 3% pour la première période quinquennale, et de 5% pour la deuxième ; l’ajustement devant se faire sur la base d’une révision d’au moins 10%. La lecture de ce contrat indique donc que les consommateurs devaient faire face à deux augmentations au maximum au bout de dix ans, c’est-à-dire jusqu’en 2011. Cependant, qu’est ce qui peut justifier la troisième augmentation dont on a été victime en avril dernier ?
Pour répondre à cette interrogation, l’on va se référer à l’alinéa 2 de l’article 5 du contrat cadre de concession et de licence, qui stipule que « par dérogation, (…), les formules de contrôle des tarifs, les formules de contrôle des tarifs dérivés ou les formules de contrôle des revenus dérivés pourront être révisés de manière exceptionnelle et à tout moment en cas d’événement imprévisible et extérieur à la volonté de la SONEL ou de l’Agence. (…) A cet effet, la SONEL fera une proposition de révision à l’Agence. La révision de formules de contrôle des tarifs, des formules de contrôle des tarifs dérivés ou des formules de contrôle des revenus dérivés sera effectuée par l’Agence en concertation avec la SONEL. Cette révision pourra s’accompagner, également sur décision de l’Agence, et après consultation de la SONEL, d’une modification des obligations quantitatives et qualitatives de la SONEL (…) »
On constate que cette clause autorise la révision des tarifs de l’électricité à tout moment, à condition que survienne un événement imprévisible. De quel événement imprévisible s’agit-il ? Aucune précision n’est faite à ce niveau dans le contrat, et l’on aimerait bien avoir une liste, fût-elle exhaustive des événements que l’on pourrait caractériser d’imprévisibles selon l’AES-SONEL.
En se référant au dictionnaire français, l’imprévisible renvoie à ce qui ne peut être prévu. Il s’agit en effet d’un événement dont la survenance est inattendue. S’il n’est certes pas aisé de caractériser un tel événement, l’on peut tout de même recenser ceux qui sont jugés normaux ou conventionnels, afin de se faire une idée de ceux que l’on pourrait classer parmi les événements imprévisibles.
Il y a une faille à ce niveau qui donne une marge de manœuvre assez importante à l’AES-SONEL en ce qui concerne les propositions de révision des tarifs auxquelles l’ARSEL ne peut réellement s’opposer. Toute opposition devant entrainer des compensations, comme le précise l’alinéa 3 de l’article 5 : « (…), l’Agence pourra, à titre exceptionnel s’opposer à la révision des tarifs proposés par la SONEL. Dans ce cas, l’Agence, le Ministre chargé du secteur de l’Electricité et le Ministre chargé des Finances détermineront, après consultation de la SONEL, toute forme de compensation appropriée au profit de cette dernière pour compenser son manque à gagner à ce titre. ». Ceci confirme effectivement la marge de manœuvre importante qu’à l’AES-SONEL sur le gouvernement camerounais.
L’augmentation des tarifs de l’électricité a conduit à la diffusion d’un communiqué, sommant l’AES-SONEL de revenir à l’ancienne grille tarifaire. Cette prise de position a marqué une fracture entre le MINEE et l’ARSEL. Cette dernière étant accusée de n’avoir pas respecté l’une des ses obligations contractuelles qui est de préserver les intérêts des consommateurs. L’on a donc assisté à la remise en cause du rôle des uns et des autres. Cependant, l’Agence peut elle réellement s’opposer à l’augmentation des tarifs quand le contrat et le cahier de charges le prévoient ? Nous avons vu ci-dessus que toute opposition ne peut s’accompagner que des mesures compensatoires de la part de l’Etat et après consultation de l’AES-SONEL. Ces mesures ont donc été apportées par l’Etat camerounais, ou alors le seront, pour compenser les manques à gagner de la société. Cette opposition à la hausse des tarifs de l’électricité, par le Ministre de l’Energie, sonne plutôt comme une mesure visant à apaiser les tensions sociales déjà créées au sein des consommateurs.
En somme, on observe que la troisième hausse des tarifs n’est pas une surprise et pourrait ne pas être la dernière sur cette décennie, étant donné que le contrat le prévoit. Toute opposition devant entrainer une compensation de la part du l’Etat. Mais l’Etat aura-t-il les moyens nécessaires pour compenser à chaque fois la hausse des tarifs proposée par le concessionnaire ?
Bien que l’augmentation des tarifs ait constitué le point de discorde entre le MINEE et l’ARSEL, on doit par ailleurs noter qu’elle est bien justifiée et était prévisible d’après l’article 5, al 2 du contrat cadre de concession et de licence.
Les défaillances observées montrent que la privatisation de la SONEL a été mal menée, étant donné que plusieurs clauses sont à l’avantage du repreneur. Tout a donc été biaisé dès le départ et l’on se demande comment tout un Etat s’est laissé emporté et berné par un groupe d’intérêts étranger ? En se focalisant uniquement sur l’article 5 du contrat, l’on pense que sa modification est impérative, afin qu’il ne soit pas uniquement à l’avantage du concessionnaire, cependant l’on devra encore attendre jusqu’en 2021, date butoir de la fin dudit contrat, c'est-à-dire dans dix ans. Gardons espoirs et restons patients.