La crise alimentaire est bien un phénomène mondial et est devenue la priorité de la communauté internationale, notamment du FMI et de la Banque Mondiale. Le continent africain est le plus touché par ce ‘‘fléau’’, auquel s’ajoute la hausse des prix des produits alimentaires et de certains intrants nécessaires au développement social et économique (ciment, fer à béton, etc).
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Le Cameroun a connu en février 2008, trois jours de vives tensions marqués par des émeutes qui ont conduit à trois décisions majeures :
- La revalorisation de 15%, du salaire de base des travailleurs émargeant au budget de l’Etat ;
- La baisse du prix du litre de carburant à la pompe, de 6FCFA pour le super et 5FCFA pour le gasoil et le pétrole lampant ;
- La baisse des prix des produits alimentaires (riz, farine, sucre, poisson importé, etc.), du téléphone et de l’électricité.
Ces décisions ont marqué une nouvelle ère pour les camerounais, qui ont vu un début de solution à leur mécontentement. Toutefois, ces mesures représentaient-elles des épées de Damoclès au-dessus de nos têtes ?
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Cette réflexion a pour objectif d’analyser les causes de la hausse des prix des produits et son impact sur les dépenses de consommation alimentaire des ménages. Cette analyse repose sur l’hypothèse selon laquelle la hausse des prix des produits est le résultat de la spéculation des commerçants et des producteurs agricoles.
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1. Les causes de la hausse des prix
Plusieurs causes sont imputables à la hausse des prix des produits de base, on peut citer entre autre la baisse de la production locale et internationale, les quotas imposés par les pays exportateurs, et la spéculation des commerçants et des producteurs locaux.
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La spéculation est une activité humaine consistant à imaginer, à anticiper les réactions et activités d’autrui, comme si nous étions à sa place, et à porter un regard sur notre propre activité, comme si nous étions un autre. Il s’agit pour un agent économique de prendre délibérément un risque de prix c’est-à-dire acheter aujourd’hui un actif financier ou tout autre bien en espérant que son prix va monter, et qu’on pourra le revendre demain avec profit (Giraud
[1], 2002). Bien qu’elle fasse l’objet d’une condamnation morale, faut-il tout de même condamner les spéculateurs ?
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Pour certains économistes, la spéculation serait déstabilisante et susceptible d’engager l’économie réelle sur des sentiers non optimaux, c’est-à-dire de l’empêcher d’atteindre le plus haut niveau de croissance et d’emploi possible. Pour d’autres, les spéculateurs ne feraient qu’acheter des risques dont d’autres acteurs économiques veulent s’en débarrasser ; ces risques sont inhérents au système économique, car engendrés par une incertitude irréductible quant à l’avenir.
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Deux éléments fondamentaux permettent de penser que les spéculateurs ne devraient pas être condamnés : la rationalité des commerçants et des producteurs (leur objectif est d’avoir le profit le plus élevé), et l’asymétrie de l’information (la même information n’est pas partagée par l’Etat, les producteurs et les commerçants, et si c’est le cas, elle n’est pas perçue de la même manière).
En effet, les objectifs fixés par l’Etat, notamment en termes de recettes fiscales constituent un frein à l’éclosion et au développement de la petite entreprise, et du petit commerçant détenteur d’une échoppe. Les fournisseurs avides de profits anticipent donc une hausse des taxes (à l’importation, impôt libératoire, etc.), du carburant à la pompe, de la demande étrangère, et créent des ruptures de stocks sur les marchés. La rareté des produits et l’accroissement de la demande locale et étrangère les conduiront à procéder à un ajustement par les prix, d’où leur hausse sur les marchés. La représentation ci-dessous illustre cette situation.
La hausse des prix est le résultat direct de la spéculation des commerçants, qui elle-même est causée par les anticipations d’une hausse des taxes, des prix de certains intrants, et d’un possible accroissement de la demande en provenance des pays voisins.
2. L’impact de la hausse des prix sur les dépenses de consommation alimentaire des ménages
Il existe une relation positive entre l’augmentation du revenu et le pouvoir d’achat, et une relation inverse entre une hausse des prix et le pouvoir d’achat. Quelle peut–être la conséquence de l’effet conjugué d’une revalorisation des salaires et d’une hausse des prix sur les dépenses de consommation alimentaire des ménages durant la même période ? Faisons une simulation avec un fonctionnaire, à partir d’un panier de produits alimentaires de grande consommation : le riz, le poisson frais (maquereau), le sucre, le pain et le lait.
Considérons un fonctionnaire de la catégorie A2, indice 605, grade : Médecin généraliste, marié et père de deux enfants. Son salaire net mensuel est passé de 204000 FCFA environ avant le décret présidentiel, à 234000 FCFA après.
- Supposons que pour le petit déjeuner journalier, cet agent achète du pain de 300FCFA, du sucre de 100FCFA et du lait de 200FCFA (quatre sachets, vendu à 50FCFA l’unité) ;
- Supposons de plus que pour un repas journalier, cet agent de l’Etat consomme un kilogramme de poisson, vendu à 950FCFA et un kilogramme de riz vendu à 400FCFA[2] ;
- Supposons enfin que les ingrédients nécessaires à la réalisation de ce repas coûtent environ 1000FCFA.
La dépense journalière pour la nutrition de ce ménage est estimée à 2950FCFA, soit 88500FCFA par mois. Cette dépense était évaluée à 79500FCFA par mois, pour la consommation des mêmes aliments il y a deux ans (le prix d’un kilogramme de poisson coûtait alors 700FCFA et le prix d’un kilogramme de riz valait 350FCFA).
Les différentes configurations sont présentées dans le tableau ci-dessous:
D’après ces estimations, la dépense alimentaire représente environ 37,82% du salaire mensuel de cet agent de l’Etat, contre 38,97% il y a deux ans. L’on doit toutefois noter que cette proportion était beaucoup plus élevée avant la revalorisation des salaires, du fait de l’augmentation des prix sur les marchés, et représentait alors 43,38% du salaire mensuel.
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Avant la revalorisation des salaires, la part du salaire destinée à la consommation alimentaire est passée de 38,97% à 43,38%, soit une augmentation de 4,41%. Après la revalorisation, cette part est passée de 43,38% à 37,82%, soit une diminution de la dépense destinée à la consommation de 5,56%. Par ailleurs, si les prix étaient restés identiques à ceux enrégistrés deux ans avant, une revalorisation de 15% aurait conduit à une réduction nette des dépenses de 5% pour le panier choisi (33,97%-38,97%).
On remarque donc que l'effet combiné de l'augmentation des prix et de la revalorisation des salaires a conduit à une augmentation des dépenses alimentaires de 4,41% et à une diminution de celles-ci de 5,56%, soit une diminution nette de 1,15% sur les deux périodes.
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Bien que la revalorisation ait permis de réduire la part du salaire destinée à la dépense de consommation alimentaire, l’on remarque que la hausse des prix a créé un écart de 3,85% (5%-1,15%) dans la réduction des dépenses de consommation pour le panier de biens choisi.
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[1] Pierre Noël GIRAUD, « Faut-il condamner la spéculation ? », Alternatives économiques, Juin 2002 [2] Les prix sont ceux observés sur les marchés de Yaoundé et Douala en novembre 2008.